Traversée vers Dakar

Publié le par Sparrow

Vendredi 3 novembre à 16h15 TU nous quittons Santa Cruz de Tenerife au moteur, afin de se dégager des Canaries... Avec un petit pincement au coeur en voyant les mains tendues de nos amis, Christian & Gigi, Michel & Cline, s’agiter derrière nous tandis que l’immensité bleue étend ses longs bras au devant de l’étrave... Que d’eau à courrir ! Presque 900 milles avant de rallier Dakar. Dès le crépuscule, un banc de grands dauphins vient nous saluer en guise d’aurevoir.

Au deuxième jour de cette longue traversée, notre premier pilote électrique rend l’âme face à la mer qui se durcit. Nous prenons la barre en surveillant les lames qui commencent à déferler sous la lueur de la lune. Nous passons 35 heures d’enfer à nous relayer à la barre, entre terreurs nocturnes et angoisses foetales. Seb dort à côté de moi dans le cockpit car je suis trop terrifiée pour rester seule dans le fracas de vagues. Au petit matin, les dauphins nous gratifient de leur joyeuse compagnie, ce qui regonfle le moral des troupes au sortir de cette nuit d’insomnie. C’est peut être simplement ca le bonheur !

Je prends le quart et attends la météo de pied ferme ! Nous marchons à 5 noeuds sous génois partiellement enroulé et grand voile à 3 ris.

La météo est rassurante, et le vent tombe dans l’après-midi, nous laissant tout le loisir de prendre une douche sur le pont, à l’ombre du spi. Une belle nuit de calme s’annonce.

Il y a quelque chose de grisant dans le fait de regarder glisser la nuit d’un jour à son lendemain, du crépuscule vers l’aube. On est plus tout à fait hier, et pas encore demain, on est suspendu à la lune au dessus de l’océan infini. On assiste chaque jour à une aurore toujours nouvelle, rivalisant d’éclat avec celle de la veille, et on pense alors à tous ces autres qui se pressent vers leur travail, ne levant le nez de leur tasse de café que pour lorgner le cadrant de leur montre et rattrapper la petite aiguille toujours trop rapide, inconsciemment détournés du présent que la vie nous offre à chaque matin. Merci pour tant de beauté... Le jour se lève, l’orange et le rose se disputent l’horizon à l’Est. Un vrai lever de soleil de savanne africaine, qui colore la ouate gris perle ourlant la robe de la nuit qui s’attarde encore. Les dernières étoiles s’éteignent une à une tandis que le ciel se pare de bleu, à peine entaché de quelques nuages. Ensuite les lueurs de l’auba pâlissent et le disque incandescent entame son ascension par delà l’océan qui rougeoie encore du souvenir de la nuit évaporée. Je m’arrache à sa contemplation pour balancer la ligne de pêche qui, je l’espère, nous ramènera de quoi déjeuner. Quelques heures plus tard nous ramenons un poisson ballon, espèce non comestible !!!

Mardi après-midi, nous devons reprendre la barre car la mer est à nouveau trop dure. A la nuit tombée, le vent s’essoufle et le ventre de l’océan se zèbre de giclées d’orages planctoniques. Cà et là des nuées verdâtres viennent rompre la tranquillité d’airain de la surface impénétrable... Que c’est bon un quart de nuit comme celui-là, à ne rien faire d’autre que regarder la lune, retendre quelques drisses, lover quelques écoutes... On se sent en paix avec le monde, il me semble que le vent porte l’odeur du sable... Les calamars et les poissons volants qui échouent sur le pont font le bonheur de Vigo qui grogne de contentement.

Mercredi 8 novembre, Sébastien écrit :

« Je suis de quart, Julie dort, bercée par la mer extraordinairement calme ce soir. Cela fait une heure que j’observe la mer qui longe la Mauritanie, je me sens bien. Le monde a connu, connait et connaitra bien des tourments, alors comment expliquer qu’il existe ailleurs la paix que je ressens ce soir. Je suis dans ma bulle avec Julie, Vigo et mon bateau, en communion avec la mer, les 2 dauphins qui sont à l’étrave, le plancton fluorescent, la voie lactée, la tortue qui vient de nous croiser et la baleine aperçue cet après-midi... »

Par la suite, les journées de calme s’enchaînent paisiblement, à bouquiner à l’ombre des voiles. Nous passons à côté d’un groupe de baleines pilotes, alors que Seizh Avel s’est transformé en petit chalutier : en plus des 2 traînes du balcon arrière, nous avons accroché une ligne à l’extrémité de la bôme et une autre au bout du tangon de spi. Nous avons pris une daurade qui fut dévorée toute crue avec un zeste de citron, mais le banc de thons à nageoires jaunes réfugié sous la carène persiste à ignorer nos appâts, préférant chasser des hordes de poissons volants qui fuient devant l’étrave, froufroutants de bruissements d’ailes désordonnés. La haute mer est loin d’être le désert d’eau monotone que l’on s’imagine ! Depuis quelques jours les dauphins nous accompagnent, bondissant et caracolant inlassablement. 

A mesure que l’on s’approche des côtes africaines, les journées deviennent de plus en plus chaudes, et les nuits sont moites, sans un souffle d’air, bruissant du vol d’insectes de tout poil. L’abattement qui semble gagner l’équipage ne concerne en rien notre petite Vigo, passionnée de pêche, qui bondit du matin au soir près des traînes. Ce samedi, en professionnelle zélée, elle a tenu a essayer personnellement les hameçons, et s’est retrouvée avec un de ces crochets planté dans la babine ! Il en résulta un moment de stress intense pour les 2 vétérinaires improvisés qui jouèrent de la pince coupante sur l’animal hurlant de frayeur, tordu de douleur, toutes griffes dehors. On parvint néanmoins à ôter l’hameçon en quelques secondes, rendant sa liberté à un petit chat hébété qui est assitôt allé s’étendre pour le reste de la journée, ne réémergeant qu’au soir pour assister à la parade quotidienne des dauphins. Finalement, nous aurons été plus blessés qu’elle !

Enfin, en ce dimanche 12 novembre, la côte sénégalaise est en vue, après 10 jours de navigation. Nous remontons au près le long de la presqu’île du Cap Vert, avant d’obliquer vers la plage une fois dépassée l’île de Gorée, puis nous jettons l’ancre dans la baie de Hann, face au mythique « Cercle de Voile de Dakar »...

Publié dans Senegal

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