Premiers pas en Guyane
Martinique, le 12 mars 2007, 8h du matin. Entre mes doigts je serre la main de Sébastien, nous filons vers l?aéroport dans la voiture de Sandrine. Un dernier virage, le temps d?apercevoir l?éclat d?une coque bleue dans la baie en contrebas, mon regard se brouille. Je sais ce que j?abandonne, j?ignore ce qui m?attend? Guyane, une dizaine d?heures plus tard. Je me surprends à penser que nous ne verrons plus l?océan avant longtemps, nous venons d?atterrir dans une stratosphère de verdure? D?où jaillit une ville, ou plutôt un gros village : c?est Cayenne, capitale de Maripasoula, le 18 mars 2007. Ici bas tout est rouge : la terre, le fleuve, les routes, le bas de mon pantalon, et le visage des blancs. Une jeep nous emmène jusqu?à la maison que nous occuperons en colocation avec Manue, le temps de notre mission de remplacement. Le C.H.A.R. nous a recrutés pour une semaine chacun, à la place d?une collègue partie en vacances, ce qui nous permettra de nous remettre en selle avant de prendre notre poste définitif à Grand Santi. L?accueil que nous réservent Manue (baroudeuse sans frontières, patience d?ange et infirmière inspirée) et Gaëlle (la voisine du bas, mais aussi la meilleure sage-femme que nous ayons rencontré, peut-être pas très sage, mais très femme !) nous permet de nous insérer en douceur dans cette nouvelle vie, nouveau climat et nouvelles habitudes. Elles deviennent, le temps d?une grosse semaine, nos potes de guindaille, nos guides dans le bourg et nos plus proches confidentes (Un grand merci à toutes les deux !). Après une rapide présentation de l?équipe et du fonctionnement du dispensaire, je me lance dans la pratique médicale que j?avais désertée depuis plus d?un an? Et le virus me reprend : accueillir, écouter, comprendre, questionner, répondre, rassurer, panser, soigner, toute cette dynamique, mécanique, pour l?or de parvenir, trop rarement, à guérir? Nous avons, je crois, fait le bon choix. Sébastien m?abandonne, remontant le fleuve pour faire la tournée médicale dans les villages amérindiens de Twenké et Antecume Pata. Ensuite, c?est son tour de jouer au Docteur, et il y prend goût lui aussi. Je découvre un nouveau visage de l?homme que j?aime, qui se révèle passionné et motivé pour chacun de ses patients, attentif à ce que leurs individualités culturelles soient prises en compte et respectées. En effet, le brassage ethnique est tel sur le fleuve que nous côtoyons en plus des Bushi Nenges Bonis qui sont ici chez eux, des Amérindiens arrachés à la forêt et des orpailleurs brésiliens accompagnés d?une quirielle de prostituées joviales. Tout ce petit monde se fréquente le moins possible, et les mélanges accidentels donnent bien souvent des cocktails détonants, qui se règlent à coups de poings, coups de couteaux et même coups de feu? Heureusement, chacun d?entre eux accueille avec plaisir les médecins du dispensaire, car l?accès à la santé est gratuit. Les jours s?écoulent au rythme des consultations. Nous commençons le matin à 9h et terminons souvent avant 14h30, ce qui nous laisse le temps de découvrir le fleuve en kayak avec Manue et Gaëlle, le marché, et les différents quartiers du village. Le soir, nous partageons nos repas avec les filles de la coloc?, lançant la mode des barbecues arrosés au Ti-ponch. Mais le temps passe vite, et nous voilà déjà repartis sur le chemin tortueux qui nous mènera à Grand Santi, lieu de notre affectation définitive. Saint Laurent du Maroni, le 29 mars 2007. Après un rapide saut à Cayenne, et une longue matinée de route à travers la jungle, nous voici rendus aux portes du fleuve, que nous devrons remonter dès demain. Saint Laurent me fait l?impression d?une ville frontière : charnière à la lisière de « l?enfer vert », en bordure de l?océan? On trouve tout et n?importe quoi dans ces ruelles poussiéreuses et rectilignes, tout sauf l?âme d?un peuple qui se perd au fond du regard borgne des taudis aux fenêtres condamnées. La pirogue déjà surchargée nous lorgne du bout de la jetée pourrissante. L?horizon menaçant se couvre de lourds nuages de pluie, tandis que la forêt sombre dans le silence, chacun se terre, attendant l?averse. Nous embarquons avec notre demie tonne de bagages, matériel et ravitaillement divers, accompagnés du Dr Flavien Rigoir (médecin en charge de Grand Santi, enfin. En gage de bienvenue, le ciel nous offre une trêve, le temps de mettre nos fournitures à l?abri. Avec l?aide de Flavien et Maryse (infirmière et future collègue), nous emménageons provisoirement dans l?appartement qui surplombe le dispensaire, en attendant que les médecins dont nous prenons le relais libèrent note maison. Nous voici redevenus terriens, c?est une nouvelle vie qui commence?